Les cours criminelles départementales sont des juridictions compétentes pour juger des personnes majeures accusées d’un crime puni de quinze ans ou de vingt ans de réclusion criminelle. Elles ont été mises en place, à titre expérimental dans un premier temps, en juillet 2020. Cette expérimentation a concerné 15 juridictions.
La procédure suivie est identique à celle devant la cour d’assises traditionnelle, mais elle est marquée par l’absence de jurés, laquelle est compensée par la participation de quatre assesseurs, magistrats professionnels. En d’autres termes, elle est composée exclusivement de professionnels.
Cette modification est importante car elle éloigne le citoyen d’une participation à l’acte de justice, ce qui est, à mes yeux, une régression démocratique importante.
Concernant les objectifs poursuivis, l’expérimentation doit d’abord permettre de traiter plus rapidement certaines infractions, notamment les crimes sexuels qui constituent 90 % des affaires renvoyées devant les cours criminelles.
Les procureurs et les juges d’instruction doivent ainsi limiter le recours à la pratique de la correctionnalisation puisqu’il arrivait souvent que ces mêmes crimes fussent requalifiés en délits (par l’abandon d’une circonstance aggravante) afin d’obtenir un traitement plus rapide devant un tribunal correctionnel. Cette pratique est une des conséquences directes du mouvement “me too”.
La création des cours criminelles doivent également participer à la résorption du stock des affaires renvoyées devant les cours d’assises. Différents incidents ont récemment eu lieu , tels qu’une grève importante des avocats, ce qui a eu pour effet de contraindre les cours d’assises à prononcer des renvois d’affaires, et la crise de la Covid qui a touché tous les services de la justice dans tous les secteurs. Ceci a eu pour effet direct d’allonger les délais d’audiencement et, par conséquent, la durée des mesures de détention provisoire avec un risque de remise en liberté faute de réponse judiciaire dans les délais légaux.
Le délai moyen de jugement des crimes est passé en 2015 à 40,6 mois. De même, le nombre de jours de sessions d’assises est passé de 2,9 jours par arrêt en 2010, à 3,2 en 2015. Il est de 4,5 à Paris. Cette tendance à l’augmentation de la durée des journées d’audience est quasi générale dans toutes les juridictions.
Enfin, cette création répond à certaines difficultés résultant de la désignation des jurés, chronophage tant pour les greffes que pour les magistrats qui doivent les former et faire œuvre de pédagogie tout au long de l’audience.
En d’autres termes, ces cours criminelles départementales ont pour objet de traiter plus rapidement et à un moindre coût les affaires criminelles.
Or, le garde des sceaux, monsieur Dupont-Moretti, successeur de madame Belloubet, m’a sollicité pour présider une commission d’étude et de réflexion sur les cours d’assises et les cours criminelles départementales. Cette commission a commencé ses travaux en octobre 2020.
Le vœu véritable du ministre était de voir cette commission, après un bilan précis et détaillé, faire des propositions en vue de la restauration des cours d’assises traditionnelles. Or, force fut de constater que les cours criminelles non seulement permettaient de traiter plus rapidement les affaires, en raison du professionnalisme de ses membres, mais aussi ne perdait rien en qualité d’écoute et d’attention des différents protagonistes. Par ailleurs, les décisions rendues étaient très proches de celles rendues par les cours d’assises traditionnelles. La crainte de voir ces nouvelles juridictions plus répressives n’était donc pas fondée. Le bilan fut donc positif et, depuis lors , il a été décidé de généraliser ces cours sur tout le territoire. Le rapport a été remis au garde des sceaux en février 2021, (il est disponible sur le site du ministère de la justice). Existent donc actuellement deux juridictions qui ont à connaître des affaires criminelles: les cours criminelles départementales et les cours d’assises compétentes pour les crimes dont la peine encourue est supérieure à 20 ans, ainsi que pour les appels des CCD.
La crainte exprimée ici est de voir à terme ces juridictions prendre le pas sur les cours d’assises traditionnelles et d’écarter les citoyens de l’acte de justice qui leur était dévolu.
À l’occasion de ce travail, j’ai pu constater le dilemme qui oppose l’attachement à la cour d’assises composée de citoyens et les contraintes légales de rendre la justice dans des délais raisonnables, ainsi que celles imposées par les exigences budgétaires.
Ces derniers jours, différentes manifestations ont eu lieu pour demander plus de moyens pour l’exercice du service public de la justice, ainsi qu’un appel très clair à la restauration des cours d’assises traditionnelles, avec jurés.
Pour ma part, pour avoir présidé plus de 450 procèsd’assises, je ne peux que témoigner de l’importance que représente pour le citoyen français de siéger dans une telle juridiction. Sans conteste, quelles que soient leurs réticences, leurs appréhensions avant de devenir des juges d’un jour, d’une affaire, les jurés exercent en plénitude leur responsabilité de citoyen, et ceci en toute conscience et liberté. Ils en sont transformés et jettent un regard bien différent sur le rôle du juge.
Alors que faire ? La justice a un coût. Lequel ? Il appartient au citoyen-contribuable d’en décider.
Par Jean-Pierre Getti