Nous avons posé quelques questions à Robin Arnaud Douville, qui vient d’intégrer l’École nationale de la magistrature (ENM) après avoir étudié à La Rochelle. L’occasion d’en savoir plus sur son parcours, le concours d’entrée à l’ENM et ses projets.
Pouvez-vous vous présenter en quelques phrases ( parcours scolaire, universitaire, âge… ) ?
Je suis Robin ARNAUD DOUVILLE, j’ai 24 ans et j’ai intégré, depuis le 15 février dernier, l’École nationale de la magistrature en qualité d’auditeur de justice pour avoir été lauréat du premier concours d’entrée.
Après un baccalauréat série ES que j’ai obtenu à La Rochelle, j’ai fait le choix (que je crois encore aujourd’hui judicieux) de faire confiance à la Faculté de Droit de la ville dans laquelle j’ai grandis pour poursuivre mes études. J’intégrais donc en 2015 la Faculté de Droit de La Rochelle à l’âge de 17 ans, en Licence Droit, Économie, Gestion – Mention Droit. Après trois années très riches, j’obtenais ma licence avec mention assez bien et avais la chance de pouvoir poursuivre mes études encore à La Rochelle au sein du Master Justice, procès et procédures – Parcours droit processuel.
Lors de ces deux années de Master, j’ai eu la chance d’acquérir de nombreuses compétences juridiques mais également de recherche pour avoir effectué un mémoire de recherche dirigé par le Professeur Catherine MARIE lors de ma première année et un mémoire de stage suite à un stage au Ministère de la Justice dirigé par le Professeur Linda ARCELIN. Je me suis pris de passion de l’impact des nouvelles technologies pour la justice et c’est pourquoi j’avais orienté mes recherches sur le thème porteur de la justice prédictive et que j’ai effectué mon stage l’année suivante au service d’expertise et de modernisation du ministère.
Je ne suis pas arrivé à la Faculté de Droit par hasard. Je souhaitais, depuis l’âge de 16 ans, embrasser une carrière judiciaire et particulièrement celle de la magistrature. Au sortir de mon Master, malgré que je fus très attiré par la recherche universitaire, j’en revenais à mon projet initial : passer (et réussir, je l’espérais !) le premier concours d’entrée à l’ENM.
Après une première tentative infructueuse, je persistais une deuxième fois et devenais lauréat du concours 2022 en 50ème position. C’est ce qui m’a amené aujourd’hui à devenir auditeur de justice et au sortir de 31 mois de formation (sous la réserve des examens de sortie), à devenir magistrat.
Les étudiants en droit se posent souvent la question de réaliser une préparation publique ou privée pour préparer les concours, notamment le concours d’entrée à l’ENM. Pour votre part, vous avez effectué un master Justice, Procès et Procédures à la Faculté de droit de la Rochelle, constitue t’il selon vous, une formation suffisante pour prétendre réussir le concours de l’ENM ?
Aujourd’hui, il convient de dresser un constat clair et unanimement partagé par l’ensemble des lauréats du concours d’entrée à l’ENM : ce concours est un concours très exigeant, au pourcentage de réussite parfois effrayant (10% cette année, 8,21% en 2021) et aux méthodes et attendus très spécifiques.
Dès lors, pour le réussir, il me paraît important que chacun et chacune sache qu’un Master, quelqu’il soit (à l’exception peut-être des Masters dédiés à la préparation de ce concours qui ont l’avantage d’y préparer, mais l’inconvénient de ne pas permettre de se constituer une voie de sortie si échec il y avait), ne peut prétendre préparer au concours d’entrée à l’ENM. Il est nécessaire, selon moi, de dédier une année entière à la préparation de ce concours, en complément de celles passées à obtenir son Master. Je rappelle aussi (et j’invite chacun à aller lire le profil de la promotion 2023 qui me conforte en ce sens ainsi que les rapports du jury des concours 2021 et 2020) que la quasi-totalité des lauréats possèdent un Master 2.
Quant à la question des préparations privées ou publiques, là encore, elle appelle de ma part une réponse à la fois personnelle mais également étayée de mon expérience en la matière et des chiffres du profil des promotions précédentes : très peu de lauréats sont issus seulement des instituts d’études judiciaires. La grande majorité sont issus soit d’un IEJ auquel se surajoute une préparation privée, ou bien seulement d’une préparation privée qu’elle soit le fruit d’un institut d’étude politique ou d’un institut de préparation stricto sensu.
Mon expérience m’a démontré que face à ce concours exigeant, une préparation pleinement dédiée à ce concours s’impose. Or et les IEJ sont ainsi faits, ces derniers préparent aux concours et examens de l’ensemble des métiers de la justice. C’est pourquoi bon nombre y ajoutent une préparation privée et c’est pourquoi aussi une partie d’entre nous (dont moi-même) ont réussi le concours en ne recourant qu’uniquement à une préparation privée.
Je concède toutefois bien volontiers que cela peut aller à l’encontre d’un concours de la fonction publique que de devoir court-circuiter les préparations publiques et je le regrette. Toutefois, cette réalité existe ; ne pas la nommer ce n’est pas pour autant la faire disparaître, alors autant que chacun puisse en avoir conscience.
Cela étant, rien n’empêche d’avoir le concours en passant uniquement par le biais d’une préparation publique ou bien (et j’invite chacun à se documenter sur son éligibilité à ce dispositif) par la « Prépa Talents » de l’ENM. Le garde des sceaux a d’ailleurs annoncé devant notre promotion la création à venir dans les prochaines années d’un concours Talents à l’ENM, le même que ceux des autres écoles de la haute fonction publique ; le chemin est donc possible pour tous et tend encore à s’ouvrir davantage. C’est d’ailleurs bienheureux que ce soit le cas.
Vous vous engagez personnellement dans des actions civiques ( conseiller municipal, « L’heure civique » … ), deux questions :
Quel est votre définition de l’engagement citoyen ? Ces engagements ont-ils contribué à confirmer votre volonté de devenir magistrat ?
L’engagement citoyen peut être je le crois simplement défini en partant de l’étymologie du citoyen. Je le qualifierais alors de la volonté de s’engager pour la cité. Partant, celui ou celle qui s’inscrit dans la volonté de mener une action bénéfique à l’intérêt général, s’engage alors pour sa cité dans son entier et mène donc un engagement citoyen.
Tout le monde peut s’engager, à la mesure de ses possibilités. Nul besoin de devenir élu pour le faire et le dispositif L’Heure Civique que j’ai cofondé avec une cinquantaine d’élus le montre bien : donner une heure par mois de son temps pour aider les autres, c’est déjà un engagement citoyen majeur et ô combien utile pour la vie de la cité.
Mes engagements associatifs que ce soit au travers de L’Heure Civique mais également dans d’autres structures (je viens d’ailleurs d’intégrer l’association De la Charente-Maritime aux grandes écoles que je dirais d’utilité publique pour les étudiants car elle vise à mettre fin à une sorte d’auto-censure de certains territoires pour les concours de la haute fonction publique), mais également sportifs ou au service de la commune dans laquelle j’ai grandis en qualité de conseiller municipal ont été autant d’expériences au service des autres et c’est en effet comme cela que je vois la profession de magistrat : un engagement fort et « dangereux » (disait Pierre TRUCHE) au service de la Justice et des justiciables. Ma volonté à devenir magistrat n’avait pas à être confortée tant elle était ancrée depuis longtemps en moi mais il est certain que ces engagements ont participé à me motiver davantage encore.
Vous êtes cofondateur de « l’heure civique », pourriez-vous nous expliquer ce dispositif d’entraide citoyenne ?
L’Heure Civique est un dispositif très simple que j’évoquais précédemment en une phrase qui la résume bien : un volontaire s’inscrit pour donner une heure par mois de son temps au service de son voisinage ou de sa collectivité.
Il s’agit donc d’essayer de capter les gisements de solidarité dans nos territoires qui ne peuvent parfois que s’inscrire dans le cadre d’associations, parfois chronophages pour beaucoup avec des assemblées générales, des réunions de bureau et j’en passe. L’idée est de simplifier la démarche d’engagement citoyen et d’en faire une chose départie de toutes les contraintes sur la base d’un volume horaire que tout le monde peut donner dans le mois : une heure.
Il a été lancé il y a plusieurs années désormais et je suis fier que la commune de Saint-Xandre dont je suis le conseiller municipal en soit un des fers de lance et j’invite chacun qui se sent l’âme d’un volontaire de L’Heure Civique à s’inscrire sur le site internet éponyme du dispositif.
Avant de se lancer dans le concours d’entrée à l’ENM, il est conseillé de réaliser en amont des stages en juridiction ou d’occuper un poste d’assistant de Justice, êtes-vous d’accord avec cela ?
Je ne peux qu’être d’accord sur ce constat et même je crois pouvoir dire que c’est indispensable. Toutefois, la temporalité importe peu : que ce soit pendant vos études ou après celles-ci, avant ou pendant votre préparation au concours, l’important est de se rendre dans un Tribunal, dans un cabinet d’avocat ou tout autre métier en lien avec votre projet (administration pénitentiaire, protection de la jeunesse, etc.) et d’y passer du temps pour acquérir une culture de terrain.
L’expérience d’assistant de justice est évidemment la voie royale vers le concours d’entrée à l’ENM et j’ai moi-même pu expérimenter combien cela m’a été bénéfique dans cette perpective. C’est d’ailleurs après 10 mois passés en tant qu’assistant de justice du Parquet de Niort que j’ai obtenu le premier concours d’accès à l’ENM ; je ne crois pas au hasard et j’y vois là un signe, celui que c’est aussi grâce à cette expérience que j’en suis là aujourd’hui.
Quelle a été votre méthode de travail dans la préparation du concours ? La préparation est longue, ce qui est j’imagine éprouvant, où trouver les ressorts de motivation nécessaires ?
Ma méthode de travail a été très personnelle et je me permets de conseiller tout d’abord à chacun de trouver la sienne, à savoir celle que l’on se sait capable de tenir pendant 10 mois d’affilée de préparation et où les vacances se font rares (je m’accordais une semaine pendant les fêtes, et deux semaines à l’été avant de commencer les révisions des oraux).
Je ne peux donc que conseiller que ce qui a marché pour moi mais ce n’est pas un modèle-type à dupliquer. Il y a sans doute autant de méthode de travail que de lauréats de ce concours.
Cela étant dit, ma méthode de travail s’est appuyée sur une révision intensive du programme des épreuves écrites selon des découpages classiques : droit pénal général, puis spécial, puis procédure pénale ; droit des personnes, droit de la famille, droit des contrats, droit des biens, etc. ; droit constitutionnel, administration de l’État, etc.
Une fois cette longue et fastidieuse étape passée (que la préparation privée a le bon goût de condenser dans des polycopiés ce qui réduit considérablement la masse d’apprentissage), je ne peux que conseiller à chacun de s’entraîner le plus possible en condition d’examen lors de l’ensemble des entraînements et concours blancs proposés par les IEJ ou les préparations privées (ou les deux). Toutefois, j’ai bien dit « le plus possible » : j’entends par là que de s’entraîner en condition d’examen est éprouvant et doit rester mesuré (à raison d’une ou deux fois par semaine maximum). Le concours blanc est toutefois un jalon indispensable de la préparation pendant lequel il nous est donné à la fois de tester nos connaissances sur une matière donnée, mais également notre résistance sur une semaine d’épreuve car les épreuves écrites (tout comme leur préparation) sont un véritable marathon !
Concernant les ressorts de motivation, il me semble que chacun doit d’abord se rappeler que rien n’oblige à passer ce concours et à le préparer. Le monde judiciaire regorge de professions passionnantes et rien ne contraint à préparer ce concours exigeant. J’ai toujours refusé de me plaindre de mes semaines de travail éprouvantes car j’ai choisi seul et en conscience de passer ce concours. Une fois cela dit, la motivation de se lever le matin, de reprendre ses révisions et/ou de s’entraîner peut parfois être difficile et la tentation de prolonger son sommeil parfois grande. C’est là où il faut en revenir au fondement de ce qui vous a amené ici : pourquoi souhaitez-vous devenir magistrat ?
C’est ce « pourquoi » qui m’a permis de ne jamais (trop) repousser le réveil et de toujours me mettre au travail six jours sur sept pendant deux années de préparation. Chacun doit à mon sens trouver son « pourquoi » et ne jamais le perdre car c’est en cela que la motivation parfois complexe à garder tire toute son essence.
Puis, disons-le, je peux conjurer à chacun que l’essayage, la commande puis la réception de sa propre robe, ainsi que la première journée à l’ENM et la prestation de serment qui suit vaut tous les sacrifices que l’on se sent prêt à consentir.
Pourquoi avoir choisi d’exercer le métier de magistrat ? Une fonction au sein de la magistrature vous attire-t-elle particulièrement ?
J’ai choisi le métier de magistrat car c’est un métier ouvert vers le monde, ouvert vers les autres, mais aussi un métier où la prise de décision constitue son essence. Je ne vois personnellement rien de plus beau que d’exercer un métier qui, au travers de l’oeuvre de justice, s’affaire à la paix sociale et au maintien scrupuleux du standard de vie en société acceptable et accepté par tous : la loi.
Mon expérience d’assistant de justice au parquet de Niort m’oriente évidemment vers des fonctions de parquetier au sortir de l’ENM. Néanmoins, j’attends beaucoup de la formation dispensée à l’école et des divers stages pour me permettre de mieux appréhender l’ensemble des fonctions que je méconnais encore parfois en tant que professionnel, mais que je connais seulement en tant qu’étudiant, par l’image que je m’en suis faite lors de simples stages. C’est seulement alors que je pourrai faire un choix pleinement éclairé, même si je me sais déjà attiré par le parquet.
Qu’attendez-vous de la formation dispensée à l’ENM ?
L’ENM est une « école d’application professionnelle », ce sont les États généraux de la justice qui l’ont dit. J’attends donc de cette formation qu’elle me permette d’acquérir les clés pour exercer le métier de magistrat, à la fois celles du juste positionnement (qu’il me faudra encore sans doute parfaire durant toute ma vie professionnelle), mais également de l’ensemble des savoirs, savoirs-être et savoirs-faire nécessaire à acquérir afin de rendre une justice de qualité.
Un dernier mot pour nos étudiants désireux de devenir magistrat, quel conseil leur donneriez vous avant d’aborder ce concours d’entrée à l’ENM ?
Je sais par expérience combien le chemin est tortueux, voire éprouvant et combien il est aisé de ne pas se sentir à la hauteur ou légitime de réussir un tel concours, exigeant et dont tout le monde à intérêt à dire qu’il l’est (c’est ce que disait et dit toujours j’en suis sur Gérald FAUCOU à l’étudiant que j’étais : les lauréats le disent extrêmement dur pour glorifier leur réussite quand les déçus ont tout intérêt à les conforter en ce sens pour légitimer leur échec).
Face à cela je donnerais deux conseils et une boussole : d’abord, s’autoriser le droit de croire que d’où que l’on vienne, quoique l’on ait pu suivre comme cursus d’études et quoiqu’en disent des esprits mal avisés, chacun peut réussir ce concours. Ensuite, je crois pouvoir dire aujourd’hui qu’il n’y a rien de plus beau pour celui ou celle qui fait, par passion, le choix de passer ce concours, que de revêtir pour la première fois sa robe et de prêter ce serment qui honore et oblige à la fois ; c’est là une source de motivation qui doit poursuivre chacune et chacun d’entre vous afin de vous guider vers la réussite. Enfin, la boussole : celle du travail. Du travail acharné, du travail méthodique, du travail au détriment parfois de temps que l’on aurait voulu dédier à autre chose, mais du travail qui finit toujours par porter ses fruits. Je ne connais pas un seul de mes coauditeurs qui dirait le contraire : c’est le travail abyssal qui porte chacune et chacun des lauréats à l’ENM. Rien de plus, rien de moins. La tâche est immense, mais elle est faisable, y compris pour un étudiant Rochelais . J’en suis la preuve cette année mais d’autres l’ont été avant moi.
J’avais affiché dans mon étagère cette citation que je n’ai jamais décroché toute ma préparation durant et qui résume bien l’ampleur de la tâche qui vous attend pour l’avoir vécue : « Cela a toujours l’air impossible, jusqu’à ce qu’on le fasse ». Alors faites-le !
La Société Rochelaise du Droit vous remercie d’avoir accepté de répondre à ses questions.
Par Paul Dandler, Service Civique de l’association