Qu’est-ce qu’un Cold Case ? Pourquoi un nouveau Pôle National dédié à ces affaires non-élucidées ? Sabine Khéris, 1ère Juge d’instruction du tribunal judiciaire de Paris et à la tête de ce nouveau Pôle situé à Nanterre, est venue à La Coursive dans le cadre du Festival Justice et Cinéma le 7 octobre 2022 pour donner une conférence sur ce thème des Cold Cases. Voici un résumé de la conférence, disponible aussi en audio sur notre chaîne YouTube.
Sabine Khéris a débuté son intervention en évoquant la genèse du pôle Cold case basé à Nanterre. Il s’agit, à l’origine d’une réunion entre magistrats et avocats.
La carrière dans la magistrature débute en 1990 pour Sabine Khéris à Béthune où se déroulait l’affaire Bruay-en-Artois, le meurtre non-élucidé d’une adolescente, qu’elle n’a en revanche, pas eu à connaître.
Sa carrière s’est poursuivie en tant que substitut du procureur à Bobigny puis juge d’instruction en 2003, doyen des juges d’instruction à Nanterre puis à Paris et depuis mars dernier, elle est premier-vice président en charge de l’instruction et coordinatrice du Pôle Cold Case.
Lors de son premier poste, lui est confiée la disparition de deux jeunes filles en 1988 et 1990, et c’est à cette occasion qu’elle rencontre Me Herrmann et Seban, avocats des jeunes filles. C’est grâce à cette rencontre et à la volonté des gendarmes qu’est relancée la piste de Michel Fourniret. Elle salue, dans la quête de celui-ci, le rôle de « son » greffier sans qui rien n’aurait pu être possible. Elle évoque sa volonté, son acharnement, son travail et leur entente qui s’est avérée essentielle.
C’est grâce « aux affaires » Fourniret que le terme Cold Case a pris de son sens, car, entre la sortie de Michel Fourniret de la prison de Fleury-Mérogis en 1987 suite à la commission de nombreuses agressions sexuelles et de viols, et 2003, une dizaine de meurtres sont commis. Durant cette période, même si des enquêtes ont été menées, aucune n’a aboutie due à la malice de Fourniret, le « routard du crime » comme elle le surnomme qui, pour tromper les enquêteurs, déplaçait les corps entre les pays concernés et imitait les tueurs en série afin de brouiller les pistes.
Après des questionnements récurrents et de longues réflexions, Sabine Khéris et son greffier décident de rédiger une note à l’attention du ministre de la Justice en demandant la création d’un « Pôle Cold Case » centralisant les affaires non-élucidées et doté de moyens nécessaires à la manifestation de la vérité. Avec Me Herrmann, elle est reçue par le garde des Sceaux qui comprend tout de suite la problématique, les enjeux et tout l’intérêt de la création d’un tel Pôle. Elle le remercie vivement.
Par la suite, la création du Pôle est insérée dans la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire , entrée en vigueur le 22 décembre 2021 suite à un vote presque unanime des parlementaires.
Plusieurs questions demeurent, à partir de quand un dossier non-résolu devient-il un Cold Case ?
Sabine Khéris nous répond qu’il s’agit nécessairement d’une démarche empirique. L’article 706-106-1 du Code de procédure pénale énonce en son alinéa 2, qu’un Cold Case nécessite que « leur auteur n’a pas pu être identifié plus de dix-huit mois après leur commission ». En effet, après des recherches infructueuses, des fausses pistes, le dossier tombe dans l’oubli et il est nécessaire de rendre un non-lieu, c’est à ce moment-là qu’un dossier devient un Cold Case.
Quelles sont les infractions concernées par les Cold cases ?
Il s’agit des crimes les plus graves, les atteintes aux personnes notamment. C’est-à-dire pour être précis les meurtres, les assassinats, les enlèvements et les séquestrations. Également, les crimes en série qui restent une réalité malgré la volonté de ne pas y croire.
Ce Pôle a une compétence concurrente, c’est-à-dire que les parquets lui délèguent certaines affaires non-résolues, car il bénéficie d’une spécialisation en la matière et de moyens plus conséquents. Sabine Khéris souhaite saluer le rôle des services d’enquête, des services de gendarmerie et de police en énonçant que, c’est grâce aux « regards croisés » que ces affaires sont élucidées. Elle salue également l’Office Central pour la répression des violences aux personnes (OCRVP), la DiANE, les services spécialisés ainsi que les experts (balistique, génétique archéologie, géophysicien) mais également les militaires spécialisés par l’utilisation de moyens plus performants.
Elle salue également l’espoir des familles de victimes et rappelle que tous les dossiers ne vont pas « monter au Pôle » quand ceux-ci peuvent être résolus par les parquets des juridictions de province.
Le Pôle n’a aucune obligation de résultat, mais des moyens sont mis en place. Sa technique ? Ne pas consulter le dossier initial, se déplacer sur les lieux, rencontrer les victimes, éclater le dossier en se l’appropriant. L’objectif est d’envisager toutes les pistes, et d’éviter de commettre les mêmes erreurs que par le passé. Il existe de nouvelles méthodes d’investigation comme l’ADN par exemple. Aujourd’hui, avec une cellule, on trouve un profil nous dit-elle. Le pôle souhaite retravailler les dossiers et y appliquer des méthodes innovantes.
La limite du temps, la mémoire humaine s’efface, mais c’est aussi une chance, car cela permet de prendre du recul sur la situation initiale ce qui n’est pas possible pour les enquêtes « de flagrance ». Le temps amène d’autres questions et permet de réinterroger des personnes. Dans certains dossiers, certains ne veulent pas parler au départ puis le temps passant, leur situation change et ils peuvent désormais se confier. Ces dossiers se nourrissent du temps et certains faits se sont médiatisés, ce qui peut contribuer à la libération de la parole.
Après ces explications très intéressantes, vient le temps des questions-réponses.
Lors de ces échanges avec le public, nous apprenons que le Pôle souhaite collaborer avec d’autres pays. C’est déjà le cas avec la Belgique, cela commence avec les Pays-Bas et des premiers contacts ont eu lieu avec le FBI aux Etats-Unis. Ces derniers sont très enclins à aider la France, étant en avance sur ces domaines. Ils ont partagé certaines techniques d’investigations, notamment l’utilisation de drone. Enfin, quand la loi le permettra en France, les Etats-Unis sont prêts à partager leur base de données d’ADN généalogique de certains Français avec le Pôle.
Sabine Khéris s’est aussi formé à la méthode profilage, venue des Etats-Unis, pour interroger Michel Fourniret. Cela consiste à déterminer un profil psychologique d’un criminel, pour mieux l’aborder.
Par la suite, une personne demande : comment le Pôle peut retrouver des preuves, notamment téléphonique ou par le biais d’une entité qui n’existe plus de nos jours ? C’est la limite du Pôle, répond Madame Khéris. Mais il a accès aux scellés des différentes enquêtes, et les FAI (fournisseur d’accès à Internet) peuvent garder en mémoire des échanges.
Pour conclure ces échanges, nous apprenons qu’une des affaires qui est montée au Pôle, vient de La Rochelle. Le frère de la victime est présent dans la salle, et échange avec Sabine Khéris. Il demande quels sont les critères pour que le dossier monte justement au Pôle. Madame Khéris répond qu’il faut seulement l’accord du juge d’instruction.
Jean-Marie Digout remercie Sabine Khéris et les personnes présentes dans la salle, c’est la fin de cette belle conférence ! Retrouvez également au audio sur notre chaîne YouTube, le débat sur le film « Omar m’a tuer » diffusé le lendemain au CGR Dragon de La Rochelle.
Par Maxime Roux et Paul Dandler, Services Civiques de l’association.